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jeudi 9 février 2012

Ils parlent de SERON: Achdé

Achdé est connu pour beaucoup de séries mais plus particulièrement sur la reprise de Lucky Luke. Il a été un des nombreux élèves de Pierre SERON et quand les éditions allemandes EHAPA décident d'éditer l'intégrale des Petits Hommes, c'est vers Achdé qu'ils se tournent pour en écrire la préface. Au lieu de faire un petit mot, il nous offre la version française de cette préface où tout est dit!

Le grand homme des petits hommes !

"C’était il y a plus de 20 ans, il faisait très chaud à Nîmes et le festival BD était un succès. Cette année-là, autour des arènes antiques se pressait des lecteurs venus nombreux pour rencontrer leurs auteurs préférés, obtenir la dédicace tant convoitée, la signature tant espérée, voir les paroles d’encouragements pour les futurs artistes en herbe.

Au milieu de ces stars du 9e art, se trouvait un gribouilleur qui présentait un petit album en noir et blanc. Pour lui, le plus dur n’était pas la chaleur qui régnait sur le site du festival (plus de 30° !) mais bien plutôt d’être coincé entre Raoul Cauvin et Pierre Seron, deux monstres sacrés de Marcinelle, les icônes vivantes de la bande dessinée belge. Leur file d’admirateurs s’étalait à perte de vue ; quant à moi, si j’avais deux ou trois personnes, c’était le bout du monde ! Très vite pour passer le temps, je répondais aux questions d’un Cauvin d’une gentillesse incomparable qui faisait tout pour me détendre. Je ne savais pas alors qu’une amitié de plus de 26 ans venait de naître avec cet extraordinaire scénariste .

Mais revenons plus précisément au sujet de cette préface. Le soir même donc, mon (futur) ami Raoul me fit un cadeau qui allait changer mon destin: il me fit rencontrer Pierre Seron.

Pierre était alors en pleine boulimie éditoriale. Chez Spirou, ses petits hommes étaient un succès formidable (ah, “le triangle du diable”). Il venait de lancer “Les Centaures” avec la même réussite et il apparaissait pour beaucoup comme le digne successeur graphique de Franquin dans ce style si caractéristique qu’est celui de “l’école de Marcinelle”.

Ce soir-là, attablé au café, entre deux cigarettes, Pierre silencieux regarda mon travail et me proposa de nous revoir. À l’époque il recevait pas mal de jeunes auteurs, Paul Glaudel par exemple dont il confiait certains crayonnés pour les lui faire encrer (avec talent).

Ainsi débutèrent pour moi deux années formidables où j’allais régulièrement chez cet auteur passionnant. Il m’y faisait découvrir ses dernières planches, comprendre le matériel, les astuces secrètes des dessinateurs, concernant l’encre de chine, le nettoyage des pinceaux, quel papier choisir, où s’achalander, les formats, les délais, etc.… Bref je devenais son élève, un de ses nombreux rêves que je faisais enfant en lisant Spirou .

À chacune de mes venues, Pierre me faisait faire des tonnes de crayonnés, il me présentait un exemple, m’expliquait la technique puis me faisait l’exécuter. À ce rythme, je compris que toute la magie d’un trait venait de ces heures de crayonnage. Mais ce fut surtout son calme et sa patience à m’apprendre à tenir correctement un pinceau (un winsor et newton “0” s’il vous plait ! ) qui a changé ma vie. C’était une véritable torture pour moi ! Après deux années, je commençais tout juste à en percevoir les subtilités! La magie du plein et du délié, le placement des ombrés, le ressort des poils, la tenue du manche, tout comptait. Seron est un as dans cette discipline. J’ai eu à loisir le plaisir d’admirer ses planches finalisées, et je peux vous dire que son trait d’encrage est une réelle perfection à l’égal d’un Cézard ou d’un Roba.

Les mois passaient et Pierre Seron qui avait une vie privée et professionnelle en pleine mutation eut moins de temps pour me prodiguer ses conseils. Je pense aussi que les piètres résultats de mes exercices graphiques jouèrent sur l’espacement de ses invitations pédagogiques car honnêtement, la lenteur invraisemblable de mes progrès aurait anéanti le plus patient de tous les professeurs !!

Nos chemins se séparèrent peu à peu à mon grand regret, n’osant revenir l’embéter avec mes soucis d’encrage ou d’animation de personnages.

Les années ont passé, et j’entrais enfin dans le “monde professionnel” de la BD…par la petite porte chez Dargaud . J’eus la chance d’obtenir un brin de succès avec mes séries humoristiques et mes aventures “tout public”. Enfin, Lucky Luke m’apporta le rêve ultime de tout dessinateur, celui d’animer une légende du neuvième art.

Ainsi quinze ans après mes barbouillages chez Pierre , lors de mes premières touches sur le célèbre cow-boy de papier, je me souvins des recommandations de mon professeur et je reconnais volontiers aujourd’hui que sans son enseignement, je n’aurais certainement jamais pu reprendre le trait de Morris.

Je peux enfin le remercier ici, et je suis heureux qu’on lui consacre une intégrale à ses travaux car il le mérite amplement. Ce grand amoureux des femmes, cet homme tourné éternellement vers le futur, lui qui inventa la science-fiction “façon Marcinelle” a été un sacré maître d’apprentissage pour moi. Il m’a appris la ténacité dans le travail, la générosité dans l’étude, la remise en question permanente, des qualités indéniables pour tout auteur qui rêves de vivre longtemps de sa création. À mes yeux, Pierre Seron est l’un des auteurs importants qui marquèrent tout une génération de lecteurs de Spirou.

Aussi, c’est avec un immense plaisir que je vous invite à découvrir ici, ce que cet homme inventif et talentueux est capable de faire avec un petit pinceau et trois gouttes d’encre de chine!"

Achdé – Lassis, le 8 juin 2008

Lien vers le blog d'Achdé

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